EST-IL PERTINENT DE PARLER D'UNE CLASSE
D'ADVERBES DE TEMPS ?
clac 7/2001
Dan Van Raemdonck
Université Libre de Bruxelles
La tradition grammaticale nous a habitués
au principe de la classification sémantique, notamment en ce qui concerne la
définition de l'adverbe. Ce type de classification apparaît comme une solution
de facilité qui vise à pallier la carence de définition en compréhension de la
notion d'adverbe par l'adoption d'une définition en extension avec
généralisation sémantique intermédiaire.
Ainsi, dès le début de la
tradition, on compte, chez Denys de Thrace, 26 classes ; Priscien en
comptabilise 17 ; Palsgrave, 24. Ce nombre culmine à 48 avec Oudin. Après la
rationalisation opérée par la grammaire générale, le nombre se réduit, pour
atteindre 7 classes chez un Grevisse.
L'histoire de ce type de
classification est émaillée de critiques : toute classification sémantique est
subjective (il pourrait, à la limite, y avoir autant de classes d'adverbes que
d'adverbes) ; on remarque de nombreux chevauchements (ensuite est-il adverbe de temps ou de relation logique ?) ; on
constate une certaine hétérogénéité de comportement des adverbes à l'intérieur
d'une même classe.
Qu'en est-il de la classe des
adverbes de temps, classe canonique s'il en est ? Peut-on mettre en évidence
son unité et sa spécificité ? Certains linguistes l'ont mise en cause. En
effet, il semble que l'on regroupe sous une même rubrique des mots qui se
différencient tant selon leur structure sémantique que selon leur comportement
syntaxique. Ainsi, selon Blumenthal (1990 : 41) :
(...) des
adverbes temporels tels que demain et
parfois ont peu de chose en commun :
sémantiquement, demain réfère à un
espace de temps situé par rapport au moment de la parole, alors que parfois quantifie, ne serait-ce que
vaguement, la fréquence du procès en question, sans référence à une donnée
extérieure au contenu de la phrase.
On sait depuis longtemps que d'un point de
vue syntaxique, les différences n'en sont pas moins grandes ; par contre, des
adverbes sémantiquement proches (p. ex. souvent/parfois) peuvent diverger
distributionnellement. Les critères sur lesquels repose la catégorie des
adverbes de temps se réduisent donc à une idée relativement vague, et pour le
moins inexplicable à partir de considérations purement linguistiques, de ce que
pourrait impliquer de près ou de loin la notion de temps.
La classe
des adverbes de temps[1]
solidement ancrée dans l'intuition du locuteur se révèle donc assez peu
homogène.
Si les coordonnées temporelles
ont souvent retenu l'attention toute particulière des linguistes, sans doute
faut-il en chercher la cause dans le fait que le temps et le lieu réfèrent
d'une manière ou d'une autre au repère MOI-ICI-MAINTENANT, qui situe
l'énonciateur. De là à les traiter à part, il y a un pas que certains ont
franchi.
Gross
(1989) étudie les lexiques-grammaires. Il propose une classification
morphologique des adverbes, en fonction de leur structure interne. Mais il limite
son objet surtout aux adverbes figés (considérés comme tels lorsque deux
éléments de la construction sont fixes l'un par rapport à l'autre), même s'il
fait un détour par les adverbes libres. Chaque classe sera ensuite étudiée
séparément, dans ses particularités. Un chapitre isolé est néanmoins consacré à
la classe sémantique des adverbes de temps, considérés comme des cas
particuliers.
Mørdrup (1976) classe les
adverbes en -MENT en adverbes de phrase et adverbes de manière. Il traite
séparément les adverbes de temps (fréquemment,
habituellement, ...), qui se situent,
selon lui, entre les deux grands ensembles.
Nølke
(1990) remplace la notion d'adverbiaux de phrase par celle d'adverbiaux contextuels
qui la recouvre en gros. Il considère comme adverbial contextuel "tout
membre de la phrase dont l'interprétation fait systématiquement appel à des
éléments du contexte non spatio-temporel
et qui n'exerce donc aucune influence sur les conditions de vérité de la
phrase" (1990b [1993] : 110 ; nous soulignons).
Ce
traitement à part est-il justifié ? Pour répondre à cette question, une remise
en perspective s'impose ? Il faut recadrer cette interrogation dans le débat
(a) sur la nature et la fonction de l'adverbe (adverbe vs adverbiaux) ; (b) sur
la dichotomie adverbe de phrase vs adverbe de manière (ou de constituant) et
donc (c) sur la portée syntaxique du complément adverbial.
Généralement, on oppose l’adverbe
de phrase à l’adverbe de constituant ou adverbe de manière. Cette notion apparaît en
français avec les grammairiens Serreau et Boussi (1829), est reprise au XXe
siècle par Damourette et Pichon (1911).
Il n’y a pas de définition exacte
de cette notion d’adverbe de phrase. Cependant, à partir de Greenbaum (1969)
pour l’anglais, on utilise des test multiples qui prennent valeur définitoire.
Le passage de ces tests constitue de fait la seule définition disponible de
l’adverbe de phrase.
Pour une
transposition de ces tests au français, il faut attendre Martin (1973). Il
relève deux tests définitoires qui, malgré une multiplication chez les auteurs
ultérieurs, resteront les plus pertinents :
1.
La
possibilité de se trouver à l’initiale d’une phrase négative.
2.
L’impossibilité
d’être focalisé à l’aide de c’est … que.
Sont unanimement reconnus comme adverbes
de phrase :
§
les
modaux (probablement),
§
les
évaluatifs (heureusement),
§
les
illocutoires (franchement)[2].
Cependant, d’autres adverbes posent des problèmes de classification. C’est le cas des adverbiaux de domaine-point de vue, qui, s’ils peuvent se trouver à l’initiale d’une phrase négative, peuvent également être focalisés à l’aide de c’est … que :
1.
Légalement,
Pierre ne conduit pas une voiture volée.
2.
C'est
légalement que Pierre conduit une voiture volée.
Les réactions face à cet état de fait sont diverses. Mørdrup (1976) classe ces adverbiaux parmi les adverbes de manière. Nølke (1990), quant à lui, les garde donc comme adverbiaux de phrase (adverbiaux contextuels, chez lui) : le comportement vis-à-vis de la focalisation apparaît comme accidentel et trouve une explication dans ce qu'implique la focalisation, à savoir un choix entre plusieurs éléments du même type.
Ce faisant,
Nølke questionne la validité des tests et impose la recherche de leur
signification. Par là même, il déclare second le test par rapport à une théorie
explicative. Les tests dès lors ne sont plus définitoires, mais ont une valeur
"heuristique", de "support", qui apporte une indication
dans les cas limites, ou bien une valeur simplement descriptive.
Il faut
donc s'interroger sur le pourquoi de l'acceptation ou du refus des éléments au
test. Quelle propriété est testée et ce qu'elle signifie dans le cas de
l'analyse. Cependant, il nous faut au préalable, comme le signale Nølke,
proposer le système explicatif à l’intérieur duquel s'inscrit la problématique
des compléments adverbiaux.
Il faut proposer une explication qui
soit systématique, trouver une homogénéité à l’ensemble des fonctions
adverbiales, à l’intérieur d’un système fonctionnel organisé de manière
cohérente, hiérarchisée, autour d’un seul critère. Ce système est parallèle à
un système de parties de langue (nature) organisé autour du critère de
l'extension[3].
Il y a donc enfin une nette séparation entre les plans de nature et de
fonction.
Nous proposons dès lors
d’inscrire la fonction adverbiale dans un système où toutes les fonctions sont
définies à partir d'un même critère, l'incidence
guillaumienne (relation entre un apport et un support de signification). Les
compléments adverbiaux, quoique morphologiquement divers (du mot à la phrase),
sont unifiés par la caractéristique de la fonction qu'ils ont en commun :
l'incidence externe du second degré, la propriété qu'ils ont de porter
syntaxiquement sur une relation entre deux termes. Dans ce système, on
substitue à une représentation du type T1 ß T2 une représentation
bidimensionnelle et plus hiérarchisée du type :
T1
T2
T3
Ces relations
supports sont elles aussi multiples et se rencontrent à des niveaux divers de
la phrase, allant du niveau supérieur, la relation prédicative, au niveau
inférieur, infrasyntagmatique. Cependant, ce sont toujours des relations.
Dans ce
système, interrogeons la portée des tests anciennement définitoires.
Dans la
structure Adv., ... ne Verbe pas... (Heureusement, Pierre n’a pas ouvert la
lettre), ce que l'on montre, c'est que l'adverbial est hors de la portée de
la négation, qu’il est placé hiérarchiquement au-dessus de la négation. En
fait, la négation clôt le prédicat[4]
; elle est la dernière des incidences adverbiales à pouvoir tomber sur cette
relation. Ce qui est dit du sujet, c'est l'affirmation du prédicat nié. Il
reste dès lors tout l'espace de la
relation prédicative (I) pour servir de support à l'incidence des adverbiaux de
phrase. On comprend mieux pourquoi ils échappent à la portée de cette négation.
La focalisation à l'aide de c'est ... que présuppose un
paradigme à l'intérieur duquel un élément est sélectionné pour être mis en
évidence. Sont exclus de ce paradigme et donc de la structure les éléments qui
ne sont pas partie intégrante de l'énoncé, soit parce qu'ils le commentent (Malheureusement), soit parce qu'ils en
commentent l'énonciation (Franchement)
:
Malheureusement/Franchement,
Pierre viendra.
*C'est malheureusement/Franchement que Pierre
viendra.
Portant sur
la relation prédicative, l'adverbial de domaine-point de vue se trouve hors de
portée de la négation. Cela explique qu'il réponde favorablement au test de la
phrase négative.
Cela dit,
l'adverbial de domaine-point de vue n'est pas le seul à fonctionner de la
sorte. Les adverbiaux spatio-temporels (ici,
hier), les adverbiaux de relations
implicatives (causales : cause, condition, concession, but, conséquence)
et les adverbiaux instrumentaux-manière, pour autant qu’ils caractérisent la
même relation, fonctionnent de même. Ils sont intégrés à l'énoncé et en
limitent la portée au lieu, au temps, à la manière ou à la relation
(chrono)logique qu'ils signifient. Ils sont donc des caractérisants de la
relation prédicative, au même titre que les adverbiaux de domaine-point de vue.
C'est pourquoi, nous engloberons tous
ces adverbiaux dans un ensemble de fonctions adverbiales plus vaste que nous
appellerons, du nom donné par Schlyter (1977) à certains d'entre eux, les adverbiaux de cadre.
Nous nous
pencherons, dans la suite de l'exposé, sur la classe des adverbes de temps pour
en voir le fonctionnement spécifique ou non par rapport aux autres adverbiaux.
Nous envisagerons successivement les différents types de relation support
possibles, de la plus large (la relation prédicative) à la plus étroite
(infrasyntagmatique).
Première
hiérarchiquement et constitutrice de l'énoncé — et donc de la phrase elle-même
— défini grammaticalement par l'apport d'un prédicat à un sujet, la relation
prédicative s'établit entre ces deux éléments préalablement constitués. Elle
est susceptible de spécifications adverbiales. Quand l'adverbial se
retrouve syntaxiquement incident à
cette relation, l'apport sémantique par lui emmené est reversé soit à l'énoncé,
soit à l'énonciation.
L'adverbial
incident syntaxiquement à la relation prédicative, et dont l'apport sémantique
est reversé à l'énoncé, soit réduit l'extension de cette relation — il y a
alors détermination —, soit consiste en un commentaire sur l'énoncé qui ne
réduit pas ladite extension — il y a alors prédication seconde[5].
En ce qui concerne l'adverbial de temps, il ne fonctionne que par
détermination. Complément de la relation prédicative, il peut donc réduire ou
fournir des informations sur l'extension de celle-ci, selon des mécanismes
semblables à ceux mis en oeuvre dans la détermination nominale[6].
Seront envisagées successivement la caractérisation et la quantification.
Tout comme
le caractérisant adjectival réduit l'extension du mot auquel il se rapporte,
l'adverbial peut réduire l'extension de la relation sur laquelle il porte. On
peut donner une étiquette sémantico-fonctionnelle à cet adverbial caractérisant
de la relation prédicative : ce sera l'adverbial
de cadre.
L'adverbial
de cadre délimite l'extension de la relation prédicative à la portion de
l'univers du pensable pour laquelle l'énonciateur assume son énoncé comme vrai.
D'ordinaire
réduit à la classe sémantique des adverbiaux de point de vue (Mørdrup (1976) et
Molinier (1990)), ou à celle des adverbiaux de point de vue étendue aux
adverbiaux de temps (Schlyter (1977)) ou de temps et de lieu (Guimier (1988)),
l'ensemble n'a connu un semblant de généralisation qu'avec Mélis (1983 et 1994)
sous le nom de compléments
(trans)propositionnels[7].
Dans la mesure où, dans notre
classification, le critère de l'incidence syntaxique l'emporte hiérarchiquement
sur le critère de la classe sémantique, l'ensemble des adverbiaux de cadre couvrira
tous les adverbiaux qui répondent à la définition ; la sous-classification
sémantique est encore une fois secondaire, même si elle n'est pas inutile. En
effet, elle recouvre des différences de comportement : certains adverbiaux ne
peuvent apparaître qu'en emploi de cadre (ceux qui marquent les implications
logiques) et donc pas en emploi intraprédicatif ; d'autres (les
spatio-temporels, les instrumentaux-manière) peuvent admettre les deux emplois
; d'autres enfin (les adverbiaux de point de vue), admettent les deux emplois
mais changent de sens dans l'emploi intraprédicatif (ils prennent un sens de manière). Il faut reconnaître néanmoins
le rôle de la signification des adverbes pour leur utilisation dans certains
emplois adverbiaux : toutes les significations des adverbes ne sont pas
compatibles avec toutes les significations des emplois adverbiaux, ni avec
toutes les significations des potentielles relations supports. La
sous-classification sémantique présentée devra reposer, tant que faire se peut,
sur la reconnaissance de comportements spécifiques. C'est la seule condition
qui rende une telle sous-classification valable et valide.
L'adverbial
de cadre a un statut quasi thématique. Il fait partie du présupposé, de ce qui est
connu et ne constitue pas l'apport d'information dont se charge le rhème. Dans
cette mesure, comme le sujet grammatical, qui constitue grammaticalement le
pendant normal du thème logique, il a une prédilection pour la position
initiale, les autres positions ayant un effet sémantique supplémentaire, qui
n'ôte néanmoins rien à l'effet général. Dans cette mesure également, tout comme
le sujet grammatical, il ne se trouve jamais sous la portée d'une négation
descriptive, sauf dans la structure de focalisation en c'est ... que, qui, nous l'avons vu, rhématise l'élément intégré :
Ce n'est pas Pierre
qui boit son whisky dans un verre à bière.
Ce n'est pas hier
que Pierre a ouvert la lettre.
Dans cette
fonction de caractérisant de la relation prédicative, l'adverbial de cadre
temporel peut occuper plusieurs positions en surface (notées A dans l'exemple
1). Il n'entre pas dans la portée de la négation descriptive (ex. 2). En effet,
la négation intervient à un niveau hiérarchiquement inférieur dans la genèse de
la structure de la phrase. Il en va de même pour l'interrogation. L'adverbial
ne constitue pas le foyer de l'interrogation. Dans 3, la question ne porte pas
sur le moment. Hier fixe le cadre de
la question. Il en est de même pour l'injonction (ex. 4). L'adverbial de cadre
enfin se laisse extraire à l'aide de c'est
... que (ex. 5).
1.
Hier/Le
15 mars/Après le départ de Marie, Pierre (,A,) a (,A,) ouvert (,A,) la lettre
(, A).
2.
Hier,
Pierre n'a pas ouvert la lettre.
3.
Hier,
Pierre a-t-il ouvert la lettre ?
4.
Demain,
soyez à l'heure .
5.
C'est
hier que Pierre a ouvert la lettre.
Certains
adverbiaux font explicitement référence à l'au-delà de la phrase à laquelle ils
appartiennent (ex. 6-10). Ils inscrivent cette phrase dans un ensemble plus
large.
6.
D'abord,
Pierre (, A,) a (, A,) ouvert (, A,) la lettre (, A).
7.
Ensuite/Enfin,
Pierre (, A,) a (, A,) ouvert (, A,) la lettre (, A).
8.
Puis,
Pierre a ouvert la lettre.
9.
Premièrement,
Pierre (, A,) a (, A,) ouvert (, A,) la lettre (, A)...
10.
Auparavant,
Pierre (, A,) a (, A,) ouvert (, A,) la lettre (, A).
Leur
parenté, pour certains, avec les conjonctions de coordination les a fait
bénéficier d'un traitement spécial sous le nom de connecteur. Selon nous, ces "adverbes de liaison",
d'après l'étiquette traditionnelle, sont, à la différence des conjonctions de
coordination, toujours syntaxiquement intégrés dans le deuxième élément,
l'élément relié. Conformément à la définition de la fonction adverbiale, ils
portent sur une relation entre constituants, ici la relation prédicative. Les
conjonctions de coordination, elles, ne s'intègrent ni dans l'un, ni dans
l'autre des éléments en relation. Elles sont le résultats d'un double mouvement
de lexicalisation et de grammaticalisation[8].
Les adverbiaux connecteurs fonctionnent bien comme les autres adverbiaux,
incidents à une incidence en cours. Ils recouvrent les mêmes notions et les
mêmes positions structurelles que les adverbiaux de cadre.
Pour ce qui
est des positions dans la chaîne linéaire du discours, aucune règle générale ne
peut être tirée. Si tous les connecteurs, en raison de leur fonction même de
connection, ont une prédilection pour la position à l'initiale de phrase, une
majorité d'entre eux (d'abord, ensuite, ...) peuvent se retrouver à
d'autres endroits. Le connecteur puis,
quant à lui, est inamovible de sa position de tête (ex. 8); à peine peut-il
être précédé du coordonnant et, ce
qui, soit dit en passant, l'exclut du groupe des coordonnants, réputés
mutuellement exclusifs.
11.
Le
facteur n'avait pas encore sonné que Pierre s'est précipité pour ouvrir la
porte.
La
"subordination inverse" — dans laquelle le fait principal semble
énoncé dans la subordonnée et, vice versa, le fait subordonné dans la
principale — peut également être traitée dans ce cadre. L'élément apparemment principal
n'y serait qu'un adverbial de cadre, l'élément apparemment subordonné serait
une sous-phrase nominalisée par que
en position de prédicat ( il y a eu Sous-Ph
dans le cadre temporel) ou de thème (Sous-Ph
s'est passé dans le cadre temporel).
12.
En général/Habituellement,
Pierre (, A,) ouvre (, A,) le courrier (, A).
13.
En
général/Habituellement, Pierre n'ouvre pas le courrier.
14.
En
général/Habituellement, Pierre ouvre-il le courrier ?
15.
En
général/Habituellement, soyez prudent.
16.
C'est
en général/habituellement que Pierre ouvre le courrier.
Les
adverbiaux dits "d'habitude" posent des problèmes de classement.
Molinier, qui les a justement distingués des adverbiaux de fréquence (1982),
les classe à part à l'intérieur de ses "adverbes de phrase" (1990) ;
Mørdrup (1976) les étudie avec le reste des adverbes de temps (qui regroupent,
chez lui, les adverbes d'habitude et ceux de fréquence), qu'il traite
séparément dans son étude, parce qu'ils ne se comportent ni tout à fait comme
des adverbes de phrase, ni tout à fait comme des adverbes de manière ; Schlyter (1977) les analyse aussi sous le
nom d'"adverbes de norme", regroupés avec les adverbes de fréquence à
l'intérieur de ses "adverbes de cadre". De surcroît, les réponses aux
tests divergent selon les auteurs. Ils sont d'accord sur les positions (ex.
12), sur la possibilité de se trouver à l'initiale d'une phrase négative sans
être affecté par la négation (ex. 13) et sur la possibilité de figurer au début d'une phrase interrogative sans
être affecté par l'interrogation (ex. 14), qui sont des propriétés communes à
tous les adverbiaux de cadre. Cependant, pour l'exemple 15 avec l'injonction,
Molinier refuse l'occurrence, alors que Schlyter et Mørdrup l'acceptent. Pour
l'exemple 16, avec la focalisation à l'aide de c'est ... que, Molinier et Mordrup refusent l'occurrence, alors que
Schlyter ne la juge pas absolument impossible[9].
Sans trancher définitivement sur les questions d'acceptabilité (signalons
simplement que ces exemples nous semblent possibles), on remarquera que le
fonctionnement général de ces adverbiaux se rapproche de celui des autres
adverbiaux de cadre, dans la mesure où, de toute manière, ils portent sur la
relation prédicative et en limitent l'extension. Nous les considérerons donc
comme des adverbiaux de cadre point de vue.
17.
Brusquement,
Pierre (, A,) est (, A,) tombé (, A).
18.
Brusquement,
Pierre n'est pas/plus venu.
19.
?
Brusquement, Pierre est-il tombé ?
20.
?
Brusquement, tombe.
21.
C'est
brusquement qu'il a cessé d'écrire.
Certains
adverbiaux indiquent le mode d'inscription dans l'enchaînement chronologique de
l'événement décrit par le reste de la phrase. Ce sont des adverbiaux du type brusquement, lentement, rapidement, (très) vite, ... Ils ont souvent posé
des problèmes de classifications : Schlyter (1977) crée une classe
d'"adverbes d'événement" (qui contient également les adverbes de
fréquence) ; Mørdrup (1976) les insère à l'intérieur de ses adverbes de manière
; Melis (1983), quant à lui, distingue plusieurs emplois possibles comme
complément aspectuel (proche des compléments de manière), comme complément
d'attitude et enfin comme complément transpropositionnel de temps (ils
rejoignent dans cet emploi des adverbiaux comme tout à coup). C'est en fait cette dernière proposition qui se
rapproche le plus de notre classement, pour l'emploi envisagé ici : faire de
ces adverbiaux des adverbiaux de cadre. Cependant, on peut également les
insérer parmi les adverbiaux de cadre instrumentaux-manière. Melis (1983 :
64-65) reconnaît d'ailleurs que cette classe d'adverbiaux " se situe à la
frontière de deux catégories traditionnelles et intuitives, celle des
compléments de manière et celle des compléments temporels." Dans la mesure
où les autres emplois de ces adverbiaux relèvent plutôt de la manière, c'est dans
ce groupe que l'on pourrait les inscrire[10].
Ces adverbiaux de cadre ont un rôle secondaire de connecteur. En effet, ils ne
sont possibles qu'en enchaînement avec d'autres énoncés. En tant que
connecteurs, ces adverbiaux ont une prédilection pour la position initiale,
même si d'autres positions ne sont pas à exclure (ex. 17) ; Contrairement à ce
qu'affirme Schlyter (1977 : 72), ils ont la possibilité de figurer au début
d'une phrase contenant une négation, sans être affectés par cette dernière (ex.
18), mais à condition que le fait nié soit présenté comme un événement présenté
"positivement" ; par contre, ils ne peuvent figurer au début d'une
phrase interrogative/injonctive, sans être affecté par
l'interrogation/injonction (ex. 19-20) : il y a en effet incompatibilité
sémantique entre des adverbiaux qui marquent l'enchaînement d'un énoncé asserté
et des modalités énonciatives autres que l'assertion ; ils ont enfin la
possibilité d'être le foyer d'une phrase clivée (ex. 21).
La
détermination d'une relation, comme d'un constituant de phrase, peut s'opérer
également sous l'angle de la quantification, même s'il apparaît plus aisément
concevable de quantifier des êtres ou des objets qu'une relation[11].
Cette
quantification peut concerner, au niveau du temps, des aspects de fréquence de
la relation décrite.
Au niveau
de la relation prédicative, les caractéristiques syntaxiques de la
quantification sont difficilement généralisables, eu égard aux réponses parfois
disparates aux tests de reconnaissance.
Rappelons
néanmoins que les tests n'ont de valeur qu'heuristique. Ils donnent d'ailleurs
une indication de la portée des adverbiaux sur la relation prédicative
essentiellement en montrant qu'ils ne portent pas sur une relation hiérarchiquement
inférieure. Or l'impossibilité de montrer que l'adverbial ne porte pas sur une
relation inférieure ne prouve pas systématiquement qu'il ne porte pas sur la
relation prédicative. La réponse non conforme à un test peut en fait trouver
son origine dans une incompatibilité sémantique entre l'adverbial de fréquence
et la signification des tests de reconnaissance. Il faut alors se résoudre à
prendre en considération la place de l'adverbial dans la chaîne linéaire — la
possibilité de le trouver en position détachée en tête de phrase — l'intention
du locuteur, la signification de la phrase, pour juger de la portée de
l'adverbial sur la relation prédicative.
L'actualisation
des différentes relations phrastiques, du fait même déjà de leur énonciation et
du temps du verbe, offre donc une perspective temporelle de quantification aux
adverbiaux. De ce fait, les adverbiaux de fréquence[12]
peuvent paraître à cheval entre la caractérisation temporelle et la
quantification. C'est la raison pour laquelle les adverbiaux de fréquence
paraissent avoir, au niveau syntaxique, des similitudes de comportement avec
les adverbiaux de cadre temporels : positions (ex. 22) ; possibilité de
figurer au début d'une phrase injonctive, sans être affecté par l'injonction (ex.
25) ; possibilité d'être le foyer d'une phrase clivée, sauf pour les adverbiaux
parfois et quelquefois (ex. 26).
22.
Fréquemment/Souvent/Deux
fois (par jour), Pierre (, A,) a (, A,) ouvert (, A,) le courrier (, A).
23.
Fréquemment/Souvent/Deux
fois (par jour), Pierre n'ouvre pas le courrier.
24.
?
Fréquemment/Souvent/Deux fois (par jour), Pierre a-t-il (, A,) ouvert le
courrier ?
25.
Fréquemment/Souvent/Deux
fois (par jour), ouvre le courrier.
26.
C'est
fréquemment/souvent/deux fois (par jour)/*parfois que Pierre a ouvert le courrier.
Pour ce qui
est de la possibilité pour l'adverbial de figurer au début d'une phrase
contenant une négation, sans qu'il soit affecté par cette dernière (ex. 23),
les positions ne sont pas absolument claires. Ainsi, Molinier (1982 : 95) opère
une distinction, à l'intérieur des adverbiaux de fréquence, entre ceux qui
vérifient cette propriété et ceux qui ne la vérifient pas. Dans le premier
groupe, il recense accidentellement, épisodiquement, exceptionnellement, fréquemment,
occasionnellement, périodiquement, sporadiquement, de temps en
temps, parfois, quelquefois et souvent. Le second rassemble annuellement,
constamment, continuellement, hebdomadairement,
irrégulièrement, journellement, mensuellement,
perpétuellement, quotidiennement, rarement,
régulièrement, semestriellement et sempiternellement.
Il semble
que l'incompatibilité vienne du fait qu'il est difficile de poser un cadre de
fréquence, qui suggère la répétition du fait énoncé dans le reste de la phrase,
en parallèle avec la négation de l'occurrence présentée dans ce même segment.
Cependant, on le voit à l'exemple 27, le segment nié peut apparaître comme un
événement considéré "positivemen" et reproductible selon la fréquence
proposée par l'adverbial de cadre, si la négation est descriptive.
27. Souvent, je lui ai écrit.
Fréquemment/Rarement/Régulièrement, elle n'a pas répondu.
L'événement
"non-réponse" est considéré "positivement" et n'est dès
lors pas incompatible avec un cadre de fréquence, même avec des adverbiaux du
deuxième groupe de Molinier (rarement
et régulièrement), qui, selon lui,
refusent ce type d'emploi.
Remarquons
enfin que, parmi les adverbiaux de fréquence du deuxième groupe de Molinier,
figurent les adverbes de période qui incluent dans leur sémantisme la période
envisagée (annuellement, hebdomadairement, journellement, mensuellement,
quotidiennement, semestriellement). Or ces adverbes ont en général deux
significations. Soit ils signifient la fréquence (tous les X temps), soit ils signifient le laps de temps considéré, la
durée de la période envisagée (par an/mois/... ; en un an/mois/...). En
position d'adverbial de cadre, en tête de phrase positive, les deux acceptions
sont possibles ; Ainsi, dans
28. Hebdomadairement, le journal est tiré à 100 000
exemplaires.
on peut gloser Hebdomadairement
soit par Toutes les semaines soit
par Par semaine/En une semaine.
Cependant,
dans la position en tête de phrase négative, comme le montre l'exemple 29, ces
adverbiaux de cadre perdent la notion itérative de fréquence pour actualiser
uniquement celle de durée :
29. Annuellement (= Par an/En un an/? Tous les ans), il
n'édite pas trente romans.
30. Tous les ans, il n'édite pas trente romans.
Si la
phrase en 30 nous semble néanmoins acceptable, elle ne peut servir de glose à 29.
En effet, en 29, il n'y a pas trente romans d'édités par an, donc moins que
trente. En 30, où la notion itérative de fréquence est bien présente, sur un
total annuel de X propositions de publications, qui excède la trentaine, chaque
année, trente romans ne sont pas édités.
En
conclusion, les adverbiaux de fréquence peuvent se trouver en tête de phrase négative, et, dès lors,
occuper la fonction d'adverbial de la relation prédicative.
Enfin, la
possibilité de figurer au début d'une phrase interrogative, sans qu'ils soient
affectés par l'interrogation (ex. 24), semble être refusée aux adverbiaux de
fréquence. Cela est sans doute dû à une incompatibilité sémantique entre un
"cadre" fixé qui signifie la répétition, d'une part, et l'interrogation
quant à la réalisation d'une seule occurrence signifiée par la question totale,
d'autre part. Comment poser la fréquence alors qu'on s'interroge sur
l'existence même d'une l'occurrence ?
31.
Jamais,
Pierre ne lit le courrier.
32.
Pas
une fois, il ne s'est absenté sans prévenir.
33.
Je
lui ai écrit de nombreuses fois ; jamais/pas une fois, il ne m'a pas répondu.
34.
Toujours,
il s'absente sans prévenir.
35.
Je
lui téléphone toujours et toujours, il ne répond pas.
Le cas de jamais, pas une fois et toujours
pose un problème. Si ces adverbiaux semblent pouvoir porter sur la relation
prédicative, il est difficile de le montrer avec certitude. En cause, sans
doute, les rapports qu'ils entretiennent avec la négation. Les uns (jamais, pas une fois) intègrent une
négation et s'emploient avec un ne
conjoint dans la phrase (ex. 31-32). Difficile dès lors de savoir s'ils
échappent à la portée de la négation à l'initiale d'une phrase négative.
L'exemple 33 propose néanmoins un cas d'enchaînement où les adverbiaux
échappent à la négation de la phrase ( = il
m'a toujours répondu). Peut-être faut-il voir ici encore un cas de
connection. Pour ce qui est de toujours
(ex. 34), le cas est similaire, même si le rapport à la négation est différent.
Nier toujours entraîne deux significations : pas toujours ou jamais. C'est la deuxième possibilité que l'on retrouve dans 35, la
première étant actualisée dans Il ne
répond pas toujours. C'est donc la place de l'adverbial dans la structure
de la phrase (selon qu'il porte soit sur la relation prédicative, soit sur une
relation hiérarchiquement inférieure) qui détermine l'interprétation.
Le sens de
l'adverbial incident syntaxiquement à la relation prédicative peut également
être reversé à l'énonciation, en tant qu'elle est effectuation du dire.
Écrémée de
tout ce qui ressortit à l'énonciation mais qui n'est pas complément de
l'énonciation, la classe des adverbiaux de l'énonciation se réduit aux
adverbiaux qui nous renseignent sur la présentation ou la forme que prend
l'énonciation, sur la formulation, sur les interlocuteurs ou sur la
justification de l'énonciation (et non de l'énoncé).
Les
adverbiaux organisateurs d'énonciation concernent l'organisation linéaire du
dire par le locuteur-énonciateur. On pourra retrouver ici des adverbiaux de
temps que nous avons déjà rencontrés avec une fonction d'adverbial de cadre (premièrement, d'abord). La différence est que l'apport sémantique des
organisateurs d'énonciation est reversé au dire, et que celui des adverbiaux de
cadre est reversé au dit.
D'autres
apparaissent plus spécifiques parce que moins intégrables dans les énoncés ; ce
sont les séries primo/secondo/..., 1°)/2°)/..., 1/2/..., a)/b)/..., ...
Enfin, on
peut ranger ici les adverbiaux alors,
enfin, ... qui ont perdu de leur
sémantisme au point de ne plus influencer les conditions de vérité de la
phrase, et qui apparaissent souvent comme des pauses dans le discours étendu.
Ils gardent néanmoins une attache syntaxique dans la phrase, puisque, selon
nous, ils restent incidents à la relation prédicative.
36.
Primo,
Pierre (, A,) a (, A,) ouvert (, A,) la lettre (,A).
37.
Primo,
Pierre n'a pas ouvert la lettre.
38.
Primo,
Pierre a-t-il ouvert la lettre ?
39.
Primo,
ouvre la lettre.
40.
*C'est
primo que Pierre a ouvert la lettre.
L'adverbial
connecteur d'énonciation, comme les autres adverbiaux d'énonciation, a les
propriétés suivantes : possibilité de figurer au début d'une phrase contenant
une négation, sans être affecté par cette dernière (ex. 37) ; possibilité de
figurer au début d'une phrase interrogative, sans être affecté par
l'interrogation (ex. 38) ; possibilité de figurer au début d'une phrase
injonctive, sans être affecté par l'injonction (ex. 39) ; impossibilité d'être
le foyer d'une phrase clivée (ex. 40). Quant aux positions (ex. 36), elles ne
semblent pas impossibles, même s'il y a des risques de confusion avec des
connections portant sur d'autres types de relation que la relation prédicative.
À
l'intérieur du prédicat, un certain nombre de relations d'incidence prennent
place qui sont susceptibles de complémentation adverbiale.
Les
adverbiaux de la relation intraprédicative se distinguent des adverbiaux de la
relation prédicative par leur moins grande mobilité. En effet, s'il n'est pas
impossible de les trouver en tête de phrase, ces adverbiaux ne se placent
jamais en tête d'une phrase négative. Et pour cause, puisqu'ils se trouvent, du
fait de leur portée sur une relation intraprédicative, automatiquement sous la
portée d'une négation descriptive, qui, elle, clôture définitivement le
prédicat. Ils sont focalisables à l'aide de c'est
... que, à l'exception des quantifiants en général.
Le sens des
adverbiaux temporels de relations intraprédicatives est reversé au seul énoncé.
Comme les adverbiaux temporels de la relation prédicative, ils ne procèdent que
par détermination, respectivement sous l'angle de la caractérisation et de la
quantification.
Les
adverbiaux temporels se retrouvent comme caractérisants de la relation
intraprédicative. On prendra donc garde de ne pas les confondre avec des
adverbiaux de cadre temporels, qui portent, eux, sur la relation prédicative
(ex. 41, pour la relation VßCv ; ex. 42, pour la relation VßCØ). La différenciation des
emplois homonymes de ces adverbiaux[13]
ne se fait pas facilement selon le critère de la place dans la chaîne
discursive. En effet, la place initiale de la phrase ne semble pas exclue pour
les emplois intraprédicatifs. Il y aurait là une simple mise en évidence du
complément sans qu'il soit question de portée sur la relation prédicative. Il
reste cependant que la place la plus naturelle pour les adverbiaux de la
relation intraprédicative est à la droite du verbe. Ces adverbiaux sont
cependant toujours inclus dans la portée de la négation ( ex. 43-44) et ne
peuvent donc se trouver en tête d'une phrase négative (ex. 45-46 ;
l'inacceptabilité ne vaut que pour l'emploi intraprédicatif). C'est un critère
qui permet de faire la distinction entre les deux types d'emplois adverbiaux.
Enfin, les adverbiaux temporels intraprédicatifs acceptent la focalisation,
sans qu'il soit, une fois encore, aisé de savoir s'il s'agit de la focalisation
d'adverbiaux de la relation intraprédicative ou de celle d'adverbiaux de la
relation prédicative (ex. 47-48).
41.
Pierre
présente sa communication demain. VS Demain, Pierre présente sa communication.
42.
Pierre
part demain. VS Demain, Pierre part.
43.
Pierre
ne présente pas sa communication demain.
44.
Pierre
ne part pas demain.
45.
*Demain,
Pierre ne présente pas sa communication.
46.
*Demain,
Pierre ne part pas.
47.
C'est
demain que Pierre présente sa communication.
48.
C'est
demain qu'il part.
Certains
adverbiaux ne peuvent se retrouver sous la portée d'une négation descriptive.
C'est notamment le cas de déjà (ex.
50), qui apparaît comme un item à polarité positive (la négation change déjà en encore). Cela ne signifie néanmoins pas qu'il ne puisse pas porter
sur la relation intraprédicative (ex. 49) ; cela signifie seulement qu'il sera
plus difficile de reconnaître la relation sur laquelle il porte. On remarquera
de même l'impossibilité de focaliser déjà
à l'aide de c'est ... que (ex. 51).
49.
Pierre
est déjà parti.
50.
*Pierre
n'est pas déjà parti (acceptable cependant en écho ou en négation partielle).
51.
*C'est
déjà que Pierre est parti.
On retrouve également les adverbes du
type brusquement comme adverbial de
relation intraprédicative. Cependant, nous les classerons, avec Melis (1983 et
1994), parmi les adverbiaux instrumentaux-manière. Ces adverbiaux possèdent les
mêmes caractéristiques syntaxiques de portée, de position et de focalisation
que les adverbiaux temporels intraprédicatifs.
52.
Pierre
mange lentement/Pierre ne mange pas lentement/C'est lentement que Pierre mange.
53.
Pierre
part brusquement/Pierre ne part pas brusquement/C'est brusquement que Pierre
part.
54.
Pierre
vide son assiette en cinq minutes/Pierre ne vide pas son assiette en cinq
minutes/C'est en cinq minutes que Pierre vide son assiette.
55.
Pierre
a étudié pendant cinq ans/Pierre n'a pas étudié pendant cinq ans/C'est pendant
cinq ans que Pierre a étudié.
On notera
la différence de sens entre l'adverbial de la relation prédicative Lentement, il a vidé chaque assiette, où
c'est la durée globale qui est visée par l'adverbial, et l'adverbial de la
relation intraprédicative Il a vidé
lentement chaque assiette, où c'est la durée pour chaque assiette qui est
visée.
La
quantification de la relation intraprédicative se marque à l'aide d'adverbiaux
de fréquence.
Les
adverbiaux de fréquence quantifient la relation VßCv. Dans cette position, ils
possèdent les mêmes caractéristiques que les adverbiaux temporels. En effet, la
place initiale (à des fins de mise en évidence) ne leur est pas interdite, même
si la place à droite du verbe est la plus naturelle (ex. 56). Quoi qu'il en
soit, ils sont toujours sous la portée de la négation (ex. 57) et ne peuvent
dès lors pas se trouver en tête de phrase négative, si toutefois ils portent
bien sur la relation VßCv. Il reste que la différenciation
sémantique entre l'emploi prédicatif et l'emploi intraprédicatif de l'adverbial
de fréquence n'est pas aisée, même si les relations supports sont bien
syntaxiquement différentes. On notera également la possibilité de focaliser ces
adverbiaux à l'aide de c'est ... que,
sauf pour les adverbiaux parfois et quelquefois qui, par ailleurs, ne se
trouvent jamais non plus sous la négation (ex. 58). On remarque ici, comme on
l'a vu plus haut pour déjà, le lien qui
existe entre la négation et la focalisation. Les autres adverbiaux quantifiants
(de degré) ne se laissent pas focaliser seuls. Cette spécificité des adverbiaux
de fréquence indique bien qu'ils sont à la frontière des adverbiaux
quantifiants et des adverbiaux de temps.
56.
Pierre
ouvre souvent/fréquemment/deux fois par jour le courrier (A).
57.
Pierre
n'ouvre pas souvent/fréquemment/deux fois par jour/ *parfois/*quelquefois le
courrier.
58.
C'est
souvent/fréquemment/deux fois par jour/*parfois/ *quelquefois que Pierre ouvre
le courrier
Les linguistes semblent
systématiquement oublier que les compléments adverbiaux peuvent porter sur une
relation infrasyntagmatique, comme la relation entre un déterminant et le nom
auquel il se rapporte, ou encore la relation entre un syntagme nominal et la
préposition avec laquelle il forme syntagme prépositionnel. Ils peuvent encore
porter sur la relation entre un prédicat second et le syntagme auquel il est
rapporté. On rencontre l'adverbial temporel dans ces différents contextes (ex.
59-64). Sans entrer dans le détail, on remarque 1°) un parallélisme entre la
complémentation adverbiale des relations intraprédicatives et celle de la
relation déterminant à nom : la relation support est de type
déterminatif (ex. 59 sans virgule pour la caractérisation et ex. 60 sans
virgule pour la quantification) ; 2°) un parallélisme entre la complémentation
adverbiale de la relation prédicative et celle d'une relation prédicat second à syntagme nominal : la relation
support est de type prédicatif (ex. 59 avec virgule pour la caractérisation et
ex. 60 avec virgule pour la quantification). Se dégage, dans ce deuxième cas,
l'effet de sens de "cadre" que l'on trouvait pour l'adverbial de la
relation prédicative. De plus si l'adverbial est spécifique à la relation
prédicative, il entraînera une lecture prédicative de la relation sur laquelle
il porte. C'est le cas notamment des adverbiaux de l'énonciation (ex. 61), que
l'on n'a pas rencontrés comme adverbiaux de relations intraprédicatives. On
remarquera enfin que le fonctionnement des adverbiaux qui portent sur une
relation syntagme nominal à préposition se rapproche de celui des
adverbes de relations prédicatives, comme si
la relation SN à Prép. était de type prédicatif (cela
semble le cas pour la préposition avec,
quasi-équivalent de la locution il y a
; ex. 62-64).
59.
Pierre
conduit une voiture (,) volée la veille/ La mort la veille de X/ Une déjà
tradition.
60.
Pierre
écrit des lettres (,) souvent compromettantes.
61. Pierre tient une lettre, primo/d'abord compromettante.
62. Pierre viendra avec, en temps voulu, des propositions
alléchantes.
63. Pierre ouvre le courrier avec, souvent, un empressement
douteux.
64. Pierre ouvre la lettre avec, primo/d'abord, un
empressement douteux, ...
De ce qui précède, il ressort que c'est
son fonctionnement particulier qui permet de distinguer une classe sémantique
d'une autre. Ici, nous avons vu que les adverbiaux de temps rejoignent d'autres
types sémantiques d'adverbiaux comme les spatiaux ou les instrumentaux-manière.
Nous ne pensons donc pas qu'il faille les traiter à part, comme le faisaient
Mørdrup, Gross ou Nølke.
A
l'intérieur des adverbiaux de temps, les classes sémantiques définies (fréquence,
habitude…) ont trouvé une même place en fonction de leur ancrage syntaxique.
Les sous-classifications sémantiques quasi-définitoires ne sont dès lors plus
nécessaires.
L'unification des compléments
adverbiaux passe par une définition claire de leur fonctionnement : nous
avons proposé de caractériser leur fonctionnement par le fait qu'ils
portent sur une relation. La possibilité de porter sur l'une ou l'autre relation
dépend, entre autres choses, de la compatibilité sémantique (question ici secondaire)
entre l'adverbe et la relation sur laquelle il porte.
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© Dan Van Raemdonck clac Circle of Linguistics Applied to Communication/
Círculo de Lingüística Aplicada a la Comunicación 7, September 2001. ISSN 1576-4737.
http://www.ucm.es/info/circulo/no7/vanraemdonck.htm
[1] Nous inclurons dans cette communication des considérations sur des sous-classes que certains linguistes ont inscrites dans la classe des adverbes de temps (comme les adverbes de fréquence ou d'habitude).
[2] On remarque
chez de nombreux auteurs, comme Mørdrup (1976) ou Schlyter (1977), la
limitation du corpus aux seuls adverbes en –ment,
reconnaissables comme adverbes en l’absence de toute définition satisfaisante.
[3] Voir à ce sujet Van Raemdonck (1996, 1997).
[4] Sur la portée de la négation, voir Van Raemdonck (1997a).
[5] Pour rappel, nous parlerons de prédication seconde lorsque les mécanismes de prédication sont mis en oeuvre sans l'intervention d'un verbe. Ce sera notamment le cas pour les adverbiaux, qui prédiquent sans l'intermédiaire d'un verbe, mais aussi pour les appositions (nominales, verbales, adjectives ou sous-phrastiques, en ce compris les relatives explicatives), pour les attributs de compléments.
[6] Pour une description de ces mécanismes à l'oeuvre dans la détermination nominale, voir Wilmet (1986).
[7] Melis (1983) regroupe sous cette étiquette les compléments spatio-temporels et les compléments qui expriment des relations implicatives, en ce compris les compléments de domaine.
[8] Voir à ce sujet Van Raemdonck (1998)
[9] Cette question n'a qu'un intérêt secondaire, vu que ce qui nous importe est d'abord l'incidence syntaxique des adverbiaux, ensuite l'incidence sémantique reversée soit à l'énoncé, soit à l'énonciation. Les regroupements des adverbiaux par notions sémantiques ne viennent hiérarchiquement qu'ensuite dans le classement et n'ont d'utilité que de permettre des généralisations sur les comportements secondaires de certains groupes d'adverbiaux.
[10] Cette distinction n'a, ici encore, qu'un intérêt secondaire ; voir note précédente.
[11] Nous sommes conscient du fait que, dans certains cas, la limite entre quantification et caractérisation est floue. Cependant, il nous a semblé judicieux de séparer ces deux mécanismes fondamentaux déjà à l'oeuvre à l'intérieur du syntagme nominal. Plus qu'un simple parallélisme sémantique de façade, nous espérons montrer le bien-fondé d'une telle distinction au niveau des différentes relations sur lesquelles portent les adverbiaux.
[12] Sur la description du fonctionnement des adverbes de fréquence, voir surtout Molinier (1982). Cependant, une vision 1°) trop binaire de la répartition des adverbes en adverbes de phrase et adverbes de manière, 2°) trop mécanique des tests, lui fait conclure à l'appartenance des adverbes de fréquence à la deuxième classe seulement (1982 : 99) :
Si l'on définit les
adverbes de manière par l'obligation de vérifier l'une au moins des trois
propriétés suivantes : impossibilité de figurer en position détachée en tête de
phrase négative, possibilité d'extraction dans c'est ... que, orientation vers le sujet de la phrase, on situera
donc la classe des adverbes de fréquence dans l'ensemble des adverbes de
manière puisque — à l'exception de parfois
et quelquefois — ils vérifient tous la deuxième propriété.
[13] Ces emplois ne se distinguent pas par le sens de l'adverbial, comme c'est le cas pour d'autres adverbiaux. Ainsi, les adverbiaux de cadre de point de vue (Légalement, Pierre conduit une voiture volée = d'un point de vue légal) changent de sens en emploi intraprédicatif et prennent une signification de manière (Pierre conduit légalement une voiture volée = en toute légalité).